Texte 1 : « On gueule d’horreur »
On a reçu un jet de lacrymogène dans les mirettes tous les deux, Eugène et mézigues… On tousse… on s’étouffe… on pleure… renâcle… ça picote dur… L’Eugène qui chiale… deux gros ruisseaux de larmes de chaque côté du pif… Y sanglote… gémit… appelle sa mère, le pauvre mec !... Il a peur d’être aveugle pour la vie vie ! …
Les bourres ont escaladé la barricade… Et c’est la danse des bâtons ! … La grande java de la matraque ! … A droite, à gauche, et pan, et bang, sur les caboches universitaires !... Faut voir comment qu’ils s’en donnent les flics ! .. Ripailles de haine ! … A cœur joie ! Un pavé fracasse la vitrine, vrim, krasch !... Pluie de verre ! … ondée coupante ! giclée de pizzicati !... Plus loin, gerbe de feu ! … Une auto renversée flambe… On gueule d’horreur !... Une auto, pensez donc !... Alors si qu’ils incendient les voitures maintenant !... « Nom de Dieu ! » qu’il gueule Eugène à travers ses pleurs… IL pense à sa Maserati qu’il a garée rue Racine… Si qu’elle flambait aussi ? … Mais alors, mais alors, c’est la révolution pour de vrai ?...
Texte 2 : Jean-Louis Curtis, La Chine m’inquiète, « Comme autrefois, quand il n’y avait pas d’usine »
Le berger regarde Gédéon. C'est dur, d'être colporteur. En été surtout à cause du soleil : et quand c'est pas à cause du soleil, c'est à cause du vent. Quand c'est pas le soleil qui tape, c'est le vent qui se met en colère, ce mauvais. On est bien mieux avec les brebis et le grand bélier, bien au chaud dedans la cabane, ou bien à l'ombre de l'olivier, avec le soleil qui nage tout blond dans le ciel alentour.
- Tu sais, berger, qu'à Paris, là-haut, c'est la Révolution ?
Le colporteur, il apprend les nouvelles, comme ça, en faisant la causette dans les villages, à l'estaminet.
- Paraît que les étudiants, ils veulent tout casser.
- Eh, laisse-les casser, qu'il fait, le berger.
- Ça t'intéresse pas, on dirait.
- Et pourquoi veux-tu que ça m'intéresse, colporteur ? Paris, c'est loin. Leur révolution, ils peuvent se l'accrocher.
- Quand même. Paraît qu'ils brûlent les automobiles.
- Tant mieux. On risquera moins de se faire écraser, en traversant les routes.
- Mais, berger, ça va foutre le commerce par terre !
- Et alors ? C'est le commerce qui fait tout le mal entre les hommes.
- Si la France ne fait plus de commerce, couillon, qu'est-ce qu'elle va devenir ?
- Je vais te le dire, colporteur : elle va devenir un paradis, té ! Comme autrefois, quand il n'y avait pas d'usine, ni de patrons ni d'ouvriers, et que tout le monde, ou a peu près, était berger ou cul-terreux.