Questions/réponses sur le bonheur et le désir
Texte 1
Tout vouloir procède d'un besoin, c'est-à-dire d'une privation, c'est-à-dire d'une souffrance. La satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés ; de plus le désir est long et ses exigences tendent à l'infini ; la satisfaction est courte et elle est parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême n'est lui-même qu'apparent ; le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d'aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C'est comme l'aumône qu'on jette à un mendiant : elle lui sauve aujourd'hui la vie pour prolonger sa misère jusqu'à demain. - Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à la pulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu'il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n'y a pour nous ni bonheur durable, ni repos. […] Ainsi le sujet du vouloir ressemble à Ixion attaché sur une roue qui ne cesse de tourner, aux Danaïdes qui puisent toujours pour emplir leur tonneau.
Schopenhauer
1) Quelle est la thèse du texte ?
2) Expliquez la comparaison au tonneau des Danaïdes.
Texte 2
Nous ne tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé pour l'arrêter comme trop prompt ; si imprudents, que nous errons dans des temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si vains, que nous songeons à ceux qui en sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu'il nous afflige ; et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver. Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons point au présent ; et, nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitables que nous ne le soyons jamais.
Blaise Pascal, Pensées (1670), fragment 172.
3) À quelle citation célèbre ce texte s’oppose-t-il ?
Texte 3
Pour m’exprimer de façon mystique, le chemin qui conduit à notre ciel personnel passe toujours par la volupté de notre propre enfer. Non, l’âme compatissante n’en sait rien : la « religion de la pitié » (ou le « cœur ») commande de secourir, et l’on croit avoir le mieux secouru quand on a secouru le plus promptement. Si vous autres adeptes de pareille religion pratiquez réellement pour vous-mêmes cet état d’esprit dont vous témoignez envers vos semblables, qui ne voulez pas même laisser une heure durant votre propre souffrance se reposer en vous-mêmes pour aller sans cesse au devant de toute sorte de malheur possible, si vous éprouvez absolument la souffrance et le déplaisir en tant que mauvais, haïssables, dignes d’être supprimés, en tant que tare de l’existence : c’est qu’outre votre religion de la pitié, vous avez encore une autre religion dans le cœur, et celle-ci est peut-être la mère de celle-là : — la religion du confort ! Ah ! Combien peu de choses savez-vous de la félicité de l’homme, vous autres âmes confortables et bienveillantes ! — Car bonheur et malheur sont deux frères jumeaux qui ou bien grandissent ensemble ou bien, comme c’est le cas chez vous, — demeurent petits ensemble !
4) Qu’est-ce que d’après vous Nietzsche entend par la « religion du bien-être » ?
Texte 4
Chacun a observé quelque tyran domestique ; et l'on voudrait penser, par une vue trop simple, que l'égoïste fait de son propre bonheur la loi de ceux qui l'entourent ; mais les choses ne vont point ainsi ; l'égoïste est triste parce qu'il attend le bonheur ; même sans aucun de ces petits maux qui ne manquent guère, l'ennui vient ; c'est donc la loi d'ennui et de malheur que l'égoïste impose à ceux qui l'aiment ou à ceux qui le craignent. Au contraire, la bonne humeur a quelque chose de généreux ; elle donne plutôt qu'elle ne reçoit. Il est bien vrai que nous devons penser au bonheur d'autrui ; mais on ne dit pas assez que ce que nous pouvons faire de mieux pour ceux qui nous aiment, c'est encore d'être heureux.
Alain, Propos sur le bonheur
5) A quel proverbe bien connu ce texte s’oppose-t-il ?
6) A quelle opinion ce texte s’oppose-t-il ?