
Lux - V
Bannis ! bannis ! bannis ! c'est là la destinée. 
Ce qu'apporté le flux sera dans la journée 
Repris par le reflux. 
Les jours mauvais fuiront sans qu'on sache leur nombre, 
Et les peuples joyeux et se penchant sur l'ombre 
Diront : Cela n'est plus ! 
Les temps heureux luiront, non pour la seule France, 
Mais pour tous. On verra dans cette délivrance, 
Funeste au seul passé, 
Toute l'humanité chanter, de fleurs couverte, 
Comme un maître qui rentre en sa maison déserte 
Dont on l'avait chassé. 
Les tyrans s'éteindront comme des météores. 
Et, comme s'il naissait de la nuit deux aurores 
Dans le même ciel bleu, 
Nous vous verrous sortir de ce gouffre où nous sommes, 
Mêlant vos deux rayons, fraternité des hommes, 
Paternité de Dieu ! 
Oui, je vous le déclare, oui, je vous le répète, 
Car le clairon redit ce que dit la trompette, 
Tout sera paix et jour ! 
Liberté ! plus de serf et plus de prolétaire ! 
Ô sourire d'en haut ! ô du ciel pour la terre 
Majestueux amour ! 
L'arbre saint du Progrès, autrefois chimérique, 
Croîtra, couvrant l'Europe et couvrant l'Amérique, 
Sur le passé détruit, 
Et, laissant l'éther pur luire à travers ses branches, 
Le jour, apparaîtra plein de colombes blanches, 
Plein d'étoiles, la nuit. 
Et nous qui serons morts, morts dans l'exil peut-être, 
Martyrs saignants, pendant que les hommes, sans maître, 
Vivront, plus fiers, plus beaux, 
Sous ce grand arbre, amour des cieux qu'il avoisine, 
Nous nous réveillerons pour baiser sa racine 
Au fond de nos tombeaux ! 
Victor Hugo - Les Châtiments