Voyant qu'il y a des corps qui ne pensent point, ou plutôt concevant très clairement que certains corps peuvent être sans la pensée, j'ai mieux aimé dire que la pensée n'appartient point à la nature du corps, que de conclure qu'elle est un mode, par ce que j'en voyais d'autres (à savoir ceux des hommes) qui pensent ; car, à vrai dire, je n'ai jamais vu ni compris que les corps humains eussent des pensées, mais bien que ce sont les mêmes hommes qui pensent et qui ont des corps. Et j'ai reconnu que cela se fait par la composition et l'assemblage de la substance qui pense avec la corporelle ; parce que, considérant séparément la nature de la substance qui pense, je n'ai rien remarqué en elle qui pût appartenir au corps, et que je n'ai rien trouvé dans la nature du corps, considérée toute seule, qui pût appartenir à la pensée. Mais, au contraire, examinant tous les modes, tant au corps que de l'esprit, je n'en ai pas remarqué un, dont le concept ne dépendît entièrement du concept même de la chose dont il est le mode. Aussi, de ce que nous voyons souvent deux choses jointes ensemble, on ne peut pas pour cela inférer qu'elles ne sont qu'une même chose ; mais, de ce que nous voyons quelquefois l'une de ces choses sans l'autre, on peut fort bien conclure qu'elles sont diverses.
Descartes, Réponses aux VIe objections adressées aux Méditations métaphysiques