Le devenir des désirs inconscients libérés par la psychanalyse
Il arrive, le plus souvent, que les désirs soient simplement supprimés par la réflexion, au cours du traitement. Ici, le refoulement est remplacé par une sorte de critique ou de condamnation. Cette critique est d'autant plus aidée qu'elle porte sur les produits d'une période infantile du "moi". Jadis l'individu, alors faible et incomplètement développé, incapable de lutter efficacement contre un penchant impossible à satisfaire, n'avait pu que le refouler. Aujourd'hui, en pleine maturité, il est capable de le maitriser. Le second moyen, par lequel la psychanalyse ouvre une issue aux instincts qu'elle découvre, consiste à les ramener à la fonction normale qui eut été la leur, si le développement de l'individu n'avait pas été perturbé. Il n'est, en effet, nullement dans l'intérêt de celui-ci d'extirper les désirs infantiles. La névrose, par ses refoulements, l'a privé de nombreuses sources d'énergie psychique qui eussent été fort utiles à la formation de son caractère et au déploiement de son activité. Nous connaissons encore une issue, meilleure peut-être, par où les désirs infantiles peuvent manifester toutes leurs énergies et substituer au penchant irréalisable de l'individu un but supérieur situé parfois complètement en dehors de la sexualité: c'est la sublimation. Les tendances qui composent l'instinct sexuel se caractérisent par cette aptitude à la sublimation: à leur fin sexuelle se substitue un objectif plus élevé et de plus grande valeur sociale. C'est l'enrichissement psychique résultant de ce processus de sublimation, que sont dues les plus nobles acquisitions de l'esprit humain. Voici enfin la troisième des conclusions possibles du traitement psychanalytique: il est légitime qu'un certain nombre des tendances libidinales refoulées soient directement satisfaites et que cette satisfaction soit obtenue par les moyens ordinaires. Notre civilisation, qui prétend à une autre culture, rend en réalité la vie trop difficile à la plupart des individus et, par l'effroi de la réalité provoque des névroses sans qu’elle n’ait rien à gagner à cet excès de refoulement sexuel. Ne négligeons pas tout à fait ce qu'il ya d'animal dans notre nature. Notre idéal de civilisation n'exige pas qu'on renonce à la satisfaction de l'individu. Sans doute, il est tentant de transfigurer les éléments de la sexualité par le moyen d'une sublimation toujours plus étendue, pour le plus grand bien de la société. Mais, de même que dans une machine on ne peut transformer en travail mécanique utilisable la totalité de la chaleur dépensée, de même on ne peut espérer transmuer intégralement l'énergie provenant de l'instinct sexuel de son aliment naturel, on provoque des conséquences fâcheuses. Rappelez-vous l'histoire du cheval de Schilda. Les habitants de cette petite ville possédaient un cheval dont la force faisait leur admiration. Malheureusement, l'entretien de la bête coûtait fort cher, on résolut donc, pour l'habituer à se passer de la nourriture, de diminuer chaque jour d'un grain sa ration d'avoine. Ainsi fut fait; mais, lorsque le dernier grain fut supprimé, le cheval était mort. Les gens de Schilda ne surent jamais pourquoi. Quant à moi, j'incline à croire qu'il est mort de faim et qu'aucune bête n'est capable de travailler si on ne lui fournit sa ration d'avoine.